Thursday, November 09, 2006

Ecrivain blanc broie du noir

La nation arc-en-ciel craque de partout. Le futur n'a pas l'air tres rose pour les intellectuels blancs sud-africains.

AFRIQUE DU SUD - 5 novembre 2006 - par TSHITENGE LUBABU M.K.
Hier militants anti-apartheid, certains auteurs critiquent aujourd’hui la majorité noire au pouvoir. Et n’hésitent pas à remettre en question leur appartenance à la nation Arc-en-Ciel. Ils s’appellent André Brink, John Maxwell Coetzee, Nadine Gordimer, Breyten Breytenbach, Christopher Hope ou encore Rian Malan. Ils sont écrivains. Et ils sont blancs. À l’époque où l’Afrique du Sud était un État officiellement raciste, ils ont mis, à des degrés divers, leur plume au service de la lutte pour la liberté, la démocratie et l’égalité des hommes. Mais seize ans après l’arrivée au pouvoir de la majorité noire, ils ont le blues. Conflit racial d’un autre type ? Lassitude de gens en quête de perfection ? Ou simples caprices d’écrivains profitant d’une liberté longtemps confisquée ? Tout est possible.
Rian Malan est le plus critique d’entre eux. Sa famille, afrikaner, a donné à l’Afrique du Sud des hommes comme Daniel François Malan qui, devenu Premier ministre en 1948, instaure l’apartheid, ou Magnus Malan, général de l’armée sud-africaine dans les années 1970 et 1980, une période particulièrement répressive. En 1977, l’adolescent qui se veut de gauche et « sympathisant du combat des Noirs » quitte son pays pour les États-Unis. Il craint d’être enrôlé dans l’armée. Mais la nostalgie finit par le ramener au bercail. Et il assiste à la mort lente et inexorable de l’apartheid. En 1990, Rian Malan publie un livre qui le rend célèbre : Mon cœur de traître (Plon, 1991). Il y avoue, entre autres choses, avoir couché avec une femme noire pour prouver ses bonnes dispositions envers les Noirs. En même temps, il culpabilise et a peur que cette femme ne lui ait transmis une quelconque maladie. Face aux changements qui se déroulent sous ses yeux, il a une certitude : les Noirs vont massacrer les Blancs pour se venger. Plus qu’une certitude, c’est une obsession qui le pousse à s’attaquer à tous les symboles du nouveau pouvoir, de Mandela à Thabo Mbeki, en passant par la Commission Vérité et Réconciliation. Malan prédit l’apocalypse.
En 2004, les Noirs n’ayant toujours pas massacré les Blancs, l’apocalypse ne s’étant pas produite, Malan bat sa coulpe. Il écrit alors dans un article : « Il est infiniment plus difficile de recevoir que de donner, surtout lorsqu’on est arrogant et que l’on reçoit le pardon ou la pitié. Le cadeau, en 1994, était tellement énorme qu’il m’est resté en travers de la gorge, et je n’ai pas été capable de dire merci. Mais je ne suis pas assez orgueilleux pour ne pas le dire aujourd’hui. »
Ce mea-culpa réjouit le président Thabo Mbeki qui, à l’occasion d’un discours à la nation, cite Malan en exemple. La communauté blanche, elle, est furieuse contre l’écrivain. Cet épisode passé, ce dernier revient à ses vieux démons. Sa dernière sortie remonte au 14 octobre dernier. Dans une tribune publiée par le magazine londonien The Spectator et intitulée « L’Afrique du Sud : pas de guerre civile, mais une triste décadence », il s’en prend une nouvelle fois aux dirigeants de son pays. Pêle-mêle, il dénonce la corruption, la violence, l’incompétence des fonctionnaires noirs… Il se demande comment quelqu’un comme Jacob Zuma, l’ancien vice-président poursuivi pour viol et corruption, peut encore avoir des sympathisants. Et reproche à Mbeki d’avoir créé un « État providence » dont profitent 10 millions de personnes. Malgré ses critiques, Rian Malan n’a pas (encore) décidé de quitter l’Afrique du Sud.
Le 24 août 2006, une tribune paraît dans le quotidien Le Monde. Elle s’intitule « L’Afrique du Sud ou le rêve trahi ». Son auteur n’est autre qu’André Brink, l’un des écrivains phares de la lutte contre l’apartheid. Partant d’un fait-divers - sa fille et son gendre ont été attaqués dans un restaurant du Cap par des hommes armés -, il en vient à dénoncer l’incurie du gouvernement, incapable de venir à bout de l’insécurité au quotidien. Sa cible préférée ? Charles Nqakula, le ministre de la Défense. Celui-ci avait déclaré que ceux qui se plaignent de la violence n’ont qu’à quitter le pays. Pour l’auteur d’Une saison blanche et sèche, « cet homme ignore sa propre histoire. Et ce faisant, il trahit tout ce pour quoi l’ANC s’est battu : non-racisme, collaboration et compréhension entre Blancs et Noirs, responsabilité partagée à l’égard du passé comme du futur. En une seule remarque insensible et désinvolte, il a trahi tout l’héritage de Nelson Mandela ». Brink prend néanmoins le soin de préciser que tous ceux qui participent au pouvoir ne sont pas comme Nqakula. Mais il accuse « la nouvelle élite du pouvoir sud-africain » d’ignorer les « besoins criants de la population » : « criminalité galopante, épidémie de sida et pauvreté ». Désormais, l’écrivain refuse de dire, comme il le faisait avant l’incident qui a touché sa famille, que les maux qui affectent son pays, tout en étant réels, « ne sont que de simples débris flottant à la surface d’un puissant fleuve positif ». S’il a juré de ne pas quitter l’Afrique du Sud, André Brink la veut différente de celle qui a permis « l’ascension de monstres comme Nqakula, Zuma ou Tsabalala-Msimang [le ministre de la Santé] ».
Breyten Breytenbach vit depuis longtemps en exil. Bravant l’apartheid, il avait épousé une Vietnamienne. Ses activités contre le pouvoir raciste lui valurent des années de prison. Le changement de régime l’amène à rentrer en Afrique du Sud, à la demande de Mandela. Mais il n’y reste pas longtemps. En novembre 1998, quatre ans après l’arrivée au pouvoir du Congrès national africain (ANC), l’auteur de ces lignes rencontre Breytenbach à l’île de Gorée, au Sénégal. L’homme est déjà amer et dénonce l’incompétence de ses amis « qui confient des responsabilités à des gens sans qualification ». Et il exprime le regret de voir que la lutte contre l’apartheid n’a conduit qu’à cela. Plus tard, Breytenbach reprochera à l’ANC d’être incapable de réduire les inégalités et d’avoir favorisé l’émergence d’un capitalisme noir. Allant plus loin, il dira, en décembre 2005, qu’il ne croit pas en la coexistence des Blancs et des Noirs en Afrique du Sud. Ni ailleurs en Afrique. Désabusé, il tourne le dos à son pays.
Même attitude de la part de John Maxwell Coetzee, Prix Nobel de littérature en 2003, qui a préféré aller s’installer en Australie. Ou de Christopher Hope qui, après avoir longtemps vécu en Grande-Bretagne, s’est fixé en France. Lui aussi est très virulent à l’égard de la nouvelle Afrique du Sud, envers laquelle il se montre pessimiste. Parmi tous ces écrivains, Nadine Gordimer, Prix Nobel de littérature en 1991, reste plutôt modérée. Membre de l’ANC, elle reconnaît que tout n’est pas parfait, mais que de grands progrès ont été réalisés. En 2004, elle a même initié un projet littéraire qui a conduit à l’écriture d’un livre de contes par une vingtaine d’écrivains de par le monde. Les recettes provenant de la vente de l’ouvrage ont été versées à une organisation de lutte contre le sida. Le 26 octobre, Nadine Gordimer a été attaquée chez elle par des cambrioleurs. Ils lui ont volé ses bijoux. Mais elle est restée dans son pays.

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